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Fred Rister

Il y a 30 ans, je n’avais pas compris sa notion d’urgence.

Tandis que je venais de passer des années à essayer de maîtriser mon corps en Athlétisme, Fred Rister faisait des folies du sien déjà fatigué, la nuit. Combien de fois je l’ai sermonné… Il s’en moquait complètement ! Avec son sourire ravageur il me disait : “Eric, il faut bien mourir de quelque chose !”.

Cette phrase me mettait en transe tellement elle est stupide. Il faisait exprès de la dire souvent en me narguant, juste pour m’énerver… Ça le faisait rire 😉

Je sais aujourd’hui pourquoi il voulait vivre vite, mais mourir vieux.

J’ai compris quelques mois après l’avoir rencontré à Maxximum qu’il se savait en sursis et qu’il mettait de la vie dans les heures qui défilaient, ces heures que l’on veut fuir jeune pour grandir plus vite et que l’on regrette ensuite une fois la maturité atteinte pour n’en n’avoir pas assez profité…

L’émotion qui l’a habité toute sa vie a fait son succès, mais a aussi provoqué son départ, à mon sens prématuré… Pourtant, sa part d’ombre ne l’a pas empêché d’être très lucide sur tout ce qui était dans son périmètre de vie, alors que parfois paradoxalement, il se mentait à lui-même. Je lui ai dit. On s’est tout dit : que l’on s’aimait, ce que l’on pouvait faire ensemble, tout. Il n’y avait pas de filtres entre nous, comme entre lui et certains autres de ses amis. Toutefois, c’est bien grâce à cette émotion, ce langage universel, qu’il a co-composé des titres avec David Guetta qui resteront dans l’histoire de la musique, à jamais.

Mais, dans les années 90 (et après…), le Rister est têtu ! “Je veux retourner dans le Nord pour faire ma musique”. Combien de fois n’avons-nous pas entendu cette phrase…

Après la fin de Maxximum, il faisait “Les Disques à la Demande” sur NRJ, poste que tous les animateurs de France convoitaient.

Lui, il l’a quitté.
Adieu nos crêpes à l’Alsace à 1h30 du matin sur les Champs.

Aujourd’hui, tout le monde parle de ses succès. C’est non seulement normal mais surtout mérité. Je n’ai toutefois pas oublié que c’est Cocto Herve et Joachim Garraud (qui connaissaient son immense talent) qui l’ont sorti de l’enfer dans lequel il s’était plongé tout seul en ne voulant faire que de la musique, avec pour corollaire le manque d’argent, une voiture pourrie et un frigo dans lequel il y avait de l’écho.

Certains remix qu’ils lui ont commandés lui ont permis d’aller faire les courses…

Le reste appartient aujourd’hui à l’histoire que vous connaissez de lui, au travers de son livre, de ses interviews, de ses réseaux sociaux.

Quand je l’ai rencontré en 1989, il a été immédiatement gentil et bienveillant avec moi, alors qu’il ne me connaissait pas. Il partageait ses vinyles rapportés de Belgique le WE et chaque lundi, j’écoutais de la musique de dingue en vinyl, cette musique qui donne instantanément le sourire et l’envie de bouger, en étant heureux, sans prendre quoi que ce soit…

Je ne voulais pas aller dans les boîtes Gay où cette musique était jouée. “Eric, si tu viens au BOY avec moi, tu vas adorer c’est obligé”. (Je raconterai un jour des détails de toute cette période…).

Il avait raison : je suis allé au BOY presque tous les soirs pendant des années ! Puis dans d’autres clubs underground et au Queen jusqu’à ce qu’il y fassent rentrer des mocassins à glands et des pulls roses posés sur les épaules. C’était devenu autre chose, un univers parallèle pour moi…

On a traversé la Belgique en une nuit, on est rentré au “Café d’Anvers”, au “Boccaccio” avec son ami Patrice Swyngedauw (qui se souvient bien du contrôle de Police à l’entrée 😉 ) …

Quand tu as vu des Vikings sortir de Ferraris sur le parking de la boîte, quand tu as l’impression d’être dans un tournage de Miami Vice, après, tu as du mal à aller écouter DJ 2000 dans une salle des fêtes…

Puis la vie fait que l’on se voit moins mais que l’on s’aime toujours malgré la distance et je l’engueulais quand je savais qu’il venait se faire soigner à 500 mètres de chez moi sans m’appeller.

Mais un jour, après avoir parlé sur RTL2, il m’a téléphoné pour me faire un compliment sur mon micro. C’était Fred… Pas de nouvelles puis un jour, le soleil qui vous appelle dans le portable.

Je me souviens d’un coup de téléphone où j’étais quasiment plus heureux que lui qu’il aille aux Grammys, que j’étais aussi fier que si c’était moi qui y allait, et déjà à l’époque, je lui disais qu’il fallait qu’il diffuse les photos…

Il voulait rester dans l’ombre, c’était là où il était le plus à l’aise.

Bien des années plus tard, il m’appelle et me dit : “Eric, je vais t’envoyer un titre que tu ne diffuseras nulle part pour l’instant, je veux juste ton avis. C’est la maquette, le titre n’est pas encore masterisé. J’ai composé un titre où tous les droits iront à la recherche contre le cancer.”

Imaginez la pression qui me vient instantanément, en imaginant la possibilité que je doive dire à mon ami, celui qui a co-composé Love Is Gone, When Love Takes Over, I Gotta Feeling, … que son titre ne me plaît pas… Je n’ai pourtant aucun problème pour le faire, mais je ne veux juste pas blesser.

Je sais que Fred ne va pas bien, que sa voix a un peu changé et qu’il jette toutes ses forces dans … “I Want A Miracle”.

On ne peut pas mentir à un ami.
J’écoute le titre, seul dans mon bureau. Je clique sur play et j’entends les premières notes :

“… Merde, c’est trop lent. P***n, c’est trop lent, pourquoi il a fait un truc lent comme ça ??”.
Passent les quelques secondes de l’intro et arrive le chant.

C’est à ce moment précis où se mêlent ce que je connais de l’état de santé de Fred, la voix du chanteur, le son du moment où démarre vraiment le titre sur le chant puis les paroles… Je passe instantanément d’un coup de batte de base ball dans la mâchoire avec le chant, aux larmes qui montent en comprenant les paroles, que Fred ne souhaitait pas diffuser pour que les gens les découvrent par eux-mêmes…

Ce titre est juste magique. Je l’appelle et je partage avec lui mot pour mot tout ce que j’avais ressenti. Il était heureux.

S’en suivent des heures et des heures de confidences, de proximité, de douceurs, de phrases définitives. Mon objectif était de le faire rire, pour le sortir de son quotidien, de sa mélancolie consubstantielle à ses compositions.

Prenez n’importe quel titre qu’il a composé, ralentissez le tempo et jouez-le au piano : les larmes viennent facilement.

Pendant un an et demi, on a été encore plus proches professionnellement (incluant Cocto), humainement et émotionnellement.

Un jour où je lui confie mes états d’âmes, à 4h du matin dans le lobby de son hôtel, il me répond : “Eric, je vais mourir. Ne perd pas de temps avec des bêtises. Appelle Carole et dis-lui que tu l’aimes. Le reste, ça n’a aucune importance… Ne perds pas de temps”.

Quand tu sors de l’hôtel après un échange comme ça, après l’avoir pris dans tes bras, t’as pas envie de chanter une chanson de la Compagnie Créole…

Petit à petit, avec l’arrêt de son traitement, ses déplacements devinrent compliqués et nos échanges devenaient durs à encaisser pour moi, car la souffrance était bien présente. Il me disait au revoir à chaque fois comme si c’était la dernière fois qu’on se parlait, mais je refusais cet état de fait et je fixais l’objectif d’un prochain appel, depuis ceux où j’entendais ce qu’il ne disait pas, où j’entendais sa douleur, jusqu’au dernier appel dont je me souviendrai évidemment toute ma vie.

Il ne s’est jamais plaint. Jamais…

J’ai mis des semaines à comprendre que lorsqu’ils disait : “je suis fatigué”, ça voulait en fait dire “j’ai mal”…

Je me disais : “évidement qu’il est fatigué, c’est normal… “.

Quand autour de vous tout le monde vient chouiner sur la météo et que vous, vous avez votre ami à côté, en phase terminale et qui ne se plaint jamais, ça recentre.

Il m’aura appris que l’on peut convaincre avec un sourire, que des gens peuvent vous aimer pour qui vous êtes et pas pour ce que vous représentez.

Il m’a appris certaines choses dans la musique, et surtout il a partagé avec moi “sa Belgique, son Nord”, sa famille.

Il avait comme nous tous, à son échelle, un immense besoin d’être aimé. Vous n’imaginez pas le bien que vous, qui lisez ces lignes, avez pu lui apporter par vos commentaires/Likes sur ses réseaux sociaux.

Il a attendu des soutiens qui ne sont pas venus et en a eu d’inattendus qui furent merveilleux.

Depuis son départ de l’autre côté du miroir, les louanges pleuvent sur Fred Rister. Les médias qui n’ont pas parlé de lui à la sortie de son titre ou qui n’ont pas joué “I Want A Miracle » cherchent aujourd’hui à faire de l’audience sur sa mort.

C’était prévu, Fred le savait…

Ce que je sais de mon côté, c’est que le miracle a finalement eu lieu : Il a fait danser la planète, il a rendu des millions de gens heureux et il a été une parcelle de Lumière sur mon chemin.

Photo : ©Eric MADELON // Fred RISTER – Eric MADELON – François DELAGE

Par Éric Madelon

Collaborateur Parlementaire au Sénat de Dominique VÉRIEN, Sénatrice de l’Yonne ~ Fondateur de Eric MADELON Communications ~ Président de
RTV 95.7 & Part-Time Lover à Rire & Chansons.

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