S1E1 « La Mort »
À Florent & Justine, qui ne sont jamais nés
Je suis déjà mort plusieurs fois. Ce parcours initiatique qui m’a été proposé fut parfois empreint d’Amour, parfois destructeur mais à chaque renaissance j’ai eu la possibilité d’être une meilleure version de moi-même.
Ces « mises à jour » successives développent une acuité et une lucidité qui donnent un temps d’avance dans la compréhension, la perception du monde et des Hommes qui le composent.
Toutefois, avoir raison trop tôt aux yeux du grand public c’est avoir tort.
En arrivant dans une nouvelle structure, qui pour moi tournait au ralenti, un ami me dit : “Éric, ne cherche pas à tout changer tout de suite. Regarde l’organigramme puis, cherche à comprendre quel est le véritable organigramme : qui couche avec qui, qui est en relation avec qui, qui dirige vraiment tout ce bazar ? À ce moment là seulement, tu pourras commencer à agir.”
Comme dans la réplique du film Sixième sens, “je vois des gens qui sont morts” et qui ne le savent pas. Embourbés de certitudes mainstream, de prêt à penser, de vagues idées politiques réflexes sans savoir argumenter, de phrases toutes faites entendues à la télé pensant être originaux alors qu’ils ne font que bêler.
Certains avaient parfaitement conscience de qui ils étaient, ce qui engendrait une jalousie envers tout ce qui était différent d’eux-mêmes et de leur petite vie dont ils se gaussaient alors qu’ils ne rêvaient que d’en sortir…
Ils feront tout pour conserver le privilège de ne rien faire avancer, pour ne pas sortir de leur zone de confort, de leur petites habitudes mesquines. Ou plutôt si : avancer comme avant, comme si rien n’avait bougé depuis 30 ans, depuis 20 ans, depuis quelques semaines… Et ils nous vendent leur soupe, obligeant les structures à avancer le pied sur le frein.
Dans d’autres endroits, je constate que pour réussir, il faut avoir le palais et les genoux plus usés que le cerveau… Les stagiaires ayant réussi, il s’inventent des compétences et abreuvent les pros de la boîte de leur insignifiance posturale et verbale, par des réunions qui ne servent à rien d’autre que de leur donner l’impression d’exister. Dans ces grand moments d’intelligence collective, chacun essaie de fait rire le chef, pour se faire bien voir. Au moins, qu’il ne s’étouffe pas devant nous : s’il éructait, ça sentirait le foutre de super-chef…
Ces stagiaires ayant réussi feront tout pour conserver le privilège de ne rien faire avancer, au risque de faire crouler la boîte dirigée par un HEC attiré par les boules à facettes. Ultime compétence : le jour de la mort de Michael Jackson, faire un sondage pour savoir s’il est opportun de passer un titre de cet artiste et si oui, lequel ? …
Là, les collaborateurs se demandent s’ils sont au bon endroit, si ce qu’ils font a un sens… Puis ils se reprennent : les gosses, la bagnole, le crédit de la maison… Et ils replongent dans des tâches inutiles, destinées à lustrer le gland de super-stagiaire.
Dans l’histoire, celui qui doit partir, c’est moi. Une mort de plus… Une mort sociale pour ceux qui imaginent que ce qui me constitue est mon travail… Avec ou sans poste, avec un gros salaire ou au crochet de Domina, je reste le même et ça, ça les emmerde…
Mais pour le moment, il faut rentrer à la maison et annoncer que l’on n’a plus de travail, le jour même où le grand patron d’une autre boîte vous appelle et vous demande : “Eric, pourquoi t’es plus en poste ? J’ai les chiffres, je comprends pas…”
Vous terminez la conversation dans la voiture, devant le portail de la maison qu’il faut maintenant ouvrir pour aller annoncer la nouvelle à celle qui vous attend, pensant qu’elle allait passer une chouette soirée à deux.
Parfois, la mort n’est rien au regard de ce que vous devez affronter.